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Union Française de l’Hélicoptère – éditorial de fin d’année 2022

Bien que l’Alouette III ait encore quelques heures de vols à son programme d’ici la fin de l’année, la Marine Nationale lui a fait ses adieux officiels la semaine dernière.
Avec sa carcasse sans matériaux composites structurels, les câbles de tierçage de son rotor articulé, les pendules analogiques de son tableau de bord et sa turbine qui siffle à l’air libre, l’Alouette est de l’époque de la 4L du facteur de notre enfance. Comme cette dernière, on l’entend venir d’un peu loin, il y a quelques particularités de conduite et d’entretien auxquelles il faut s’habituer, la consommation est un peu élevée et ce n’est pas très confortable. Bien sûr, il n’est plus question d’envisager de revenir à ce type de construction aujourd’hui. Mais c’était fiable, construit sans fioriture pour durer. L’Alouette III militaire a rendu les services qu’on lui demandait pendant 60 ans sans rougir de ses performances, si modestes soient-elles au regard des standards du vingt-et-unième siècle.

                                     

Si nous avons choisi d’illustrer les vœux de l’UFH avec un appareil pour lequel l’arrivée de l’année 2023 sonne un peu comme un glas, c’est parce qu’il symbolise la fin d’un âge d’or dont la profession pressent qu’il va être de plus en plus difficile de faire fructifier l’héritage.
Les hélicoptères actuels et les EVTOLs futurs pourront-ils suivre la trace des Alouettes en servant leurs propriétaires pendant 60 ans ? A supposer que leur conception le permette, il est permis d’en douter, quand bien même leur fiabilité se maintiendrait et leurs performances continueraient à satisfaire les équipages, les opérateurs et leurs clients sur tous les points, y compris la sécurité.

Depuis plusieurs années, le cadre réglementaire à respecter n’est plus assez stable pour ce faire. Le moindre incident isolé, la plus petite présomption de détection d’un danger théorique, le seul espoir de l’émergence, même hypothétique, d’une rupture technologique favorable à l’environnement, ou une simple polémique médiatisée, semblent suffir à provoquer l’étude d’un changement réglementaire. S’y ajouteront ensuite l’inévitable interprétation nationale, et bien souvent un lot de moyens de conformités et de recommandations de bonnes pratiques dont personne ne sait très bien s’il faudra s’y conformer en fonction de leur lecture par l’autorité de surveillance. Le millefeuilles administratif que cela engendre conduit inévitablement à des situations inextricables. Que doit-on faire par exemple quand une règle européenne sur la gestion des opérations aériennes vient contredire une loi nationale sur le droit du travail?
Ces constats permettent raisonnablement de considérer que ce ne sont peut-être pas seulement ses qualités qui ont permis à l’Alouette III Marine de continuer à servir si longtemps. C’est sans doute aussi en partie parce que son statut militaire l’a mise à l’abri des conséquences de cette évolution.

L’histoire de cet appareil symbolise la conclusion d’une réussite indéniable du vol vertical, qui a ouvert la voie au leadership de l’industrie européenne actuelle. Pour que celui-ci se maintienne, souhaitons qu’en 2023, les administrations de tutelle de l’aviation civile se mettent vraiment à l’écoute de la voix de leurs administrés qui ont besoin de pragmatisme et de souplesse. Souhaitons qu’une réflexion soit engagée pour transformer structurellement la façon de conduire l’élaboration des règlements qui régissent l’aviation civile européenne.

Pour l’instant, cela ne semble pas en prendre le chemin. L’impression ressentie par la profession est que le principe de précaution inspire désormais la proactivité du législateur jusqu’à la caricature. L’obstination européennes à vouloir tout harmoniser a de plus en plus de mal à intégrer les besoins particuliers, les environnements spécifiques et les expériences acquises localement. Dans le domaine de l’aviation générale, et du vol vertical en particulier, cette manière de fonctionner a fini par engendrer un monstre bureaucratique. Il provoque une charge administrative dont on ne maîtrisera bientôt plus les coûts. Ce qui est peut-être le plus préoccupant pour l’avenir est que ce fardeau annihile le sens des responsabilités, transforme la maîtrise de la sécurité en surveillance de conformité, détruit le sens de l’initiative et gaspille les vocations en épuisant les enthousiasmes les plus fervents.

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